Contes de Provence by Paul Arène

Contes de Provence by Paul Arène

Auteur:Paul Arène [Arène, Paul]
La langue: fra
Format: epub
Tags: fiction, classique
ISBN: 978-2-8247-1230-7
Éditeur: Edicions La Libertat
Publié: 2016-10-15T04:00:00+00:00


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Chapitre 8

Un homme heureux

Notre voisin, un bon voisin, ce qui devient rare ! s’appelait Mïus de la Celeste, les gens ayant la coutume chez nous de donner à l’homme le nom de sa compagne quand celle-ci est maîtresse-femme et se distingue en bien ou en mal par quelque chose de peu ordinaire. Hélas ! depuis longtemps la Celeste dormait le long de l’église, et le vieux Mïus, malgré son grand âge, persistait à vivre seul dans un bien qu’il possédait au quartier des Hubacs, loin de la ville.

Pas très gai, le quartier des Hubacs : supportable à peine au printemps, avec ses rangées d’amandiers fleuris et blancs au milieu des blés qui verdoient, mais déplorablement désolé quand, une fois les récoltes enlevées, il ne reste plus entre les chaumes, sous les amandiers recroquevillés, que la terre sèche et poudreuse où luisent des fragments de silex noir.

La bastide du vieux Mïus n’en paraissait que plus galante par contraste ; et l’on aurait dit que toute l’humide fraîcheur de ce maussade revers de montagne s’était écoulée, ramassée au creux de son vallon. Un modeste vallon, d’ailleurs : d’abord simple déchirure de marne bleue, lavine bientôt élargie et devenue propre aux cultures, mais tout de suite coupée en travers par le lit pierreux d’un torrent. Seulement, de la lavine au torrent, tenait, en tout petit et comme résumé, un véritable domaine. Là-haut, ressource précieuse pour le chauffage et les fumiers, un bosquet de chênes jetait son ombre ; au-dessous, le coteau produisait, bon an mal an, trois ou quatre airées ; quelques pieds d’oliviers, un peu de vigne ; et, dans le fond, la bande verte d’un excellent pré.

Le tout acquis autrefois très bon marché, « pour un morceau de pain », disait le vieux Mïus qui, sur le conseil d’un avocat, son camarade de chasse, avait enlevé les Hubacs aux enchères et sans concurrence, en 1851, immédiatement après l’essai de résistance au coup d’État, alors que les prisons étaient pleines et que les gens traqués songeaient à autre chose qu’à s’arrondir.

Ajoutons que les Hubacs dataient de la Restauration. Un enfant du pays, parti simple soldat et revenu des champs de bataille de l’Empire avec les épaulettes de gros-major, s’était plu à embellir cette seigneurie en miniature d’après un idéal et des souvenirs sans doute rapportés d’Italie. Il en avait fait une villa comme on en voit autour de Gênes. De là, sur les murs, ces noms de victoires et de pays lointains, encadrant des fresques effacées ; de là ce balcon en terrasse dont les six piliers de grès rouge portaient les sarments tordus d’une treille, et ce jardin planté de rosiers embroussaillés au milieu d’une enceinte de cyprès, de lauriers et de grenadiers. Je n’affirmerais pas que le vieux Mïus y fût sensible, mais, dans leur abandon paysan, les Hubacs, il y a quelques années, conservaient encore je ne sais quoi de poétiquement virgilien.

J’étais à notre bastidon de la Cigalière, une après-midi du mois d’août, lorsque, à travers le vacarme infernal que faisaient les cigales, il me sembla que quelqu’un m’appelait.



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